Les acteurs du changement
À l’écoute des jeunes
Pour plus de 100 000 abonnés à sa chaîne YouTube en Malaisie, son pays natal, et au-delà, le jeune homme d’une vingtaine d’années du nom de Vikar est passé maître dans l’art de la comédie : des sketchs, aux parodies de clips musicaux en passant par les vlogs en live, sa chaîne regorge de contenus amusants et irrévérencieux dont raffole la génération Z. C’est ainsi que, lorsque sa vidéo de 2018 au sujet de son identité de terroriste a été publiée, l’événement a été vécu comme un choc. Avec pour décor une cellule de prison minimaliste, l’on peut y découvrir une jeune femme victime d’extrémisme violent qui confronte l’homme qui a attaqué sa famille : un prisonnier en combinaison orange, incarné par Vikar même. La conversation se déroule comme suit : chaque participant raconte l’histoire de son point de vue, avec un ton correspondant aux motivations et aux conséquences, et met en lumière sa peine, sa colère et ses remords.
« Je n’ai jamais vu de créateurs de contenu en Malaisie parler d’extrémisme violent. »
La vidéo a été produite dans le cadre du programme YouTube Creators for Change (Asie-Pacifique), et mise en œuvre en collaboration avec le PNUD, avec un financement partiel par l’UE. L’objectif était de proposer aux jeunes influenceurs de la région une plateforme d’expression sur les questions sociales qui leur sont chères, sur laquelle ils peuvent également partager leurs messages et lancer une conversation avec leur public en ligne. Outre les échanges directs autour de l’extrémisme violent, les créateurs ont été invités à explorer divers thèmes qui touchent les jeunes et peuvent favoriser l’extrémisme ou la radicalisation : des discours haineux, au racisme et à la misogynie, en passant par le harcèlement, l’isolation sociale et les griefs politiques. Ces deux dernières années, plus de 100 jeunes influenceurs ont participé au projet, depuis la Thaïlande, les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, le Vietnam et l’Australie. Bon nombre d’entre eux n’avaient jamais été impliqués dans des questions relatives à la prévention et à la lutte contre l’extrémisme violent, leurs chaînes YouTube étant dédiées à la comédie, au rap ou aux tutoriels de maquillage. « Ces questions ne faisaient définitivement pas partie de mes préoccupations, et je n’ai jamais vu de créateurs de contenu en Malaisie parler d’extrémisme violent. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de participer au programme. En effet, pourquoi ne pas relever ce défi, en apprendre davantage et voir jusqu’où traiter ces thèmes de façon créative pour éclairer les autres ? », explique Vikar.
Au travers d’une multitude d’activités de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent organisées par l’UE, les groupes de jeunes jouent un rôle majeur : d’un côté, ils peuvent être davantage vulnérables aux récits extrémistes, et de l’autre, ils figurent parmi les promoteurs de la paix et de la tolérance les plus passionnés au sein de leur communauté. Les initiatives telles que « Creators for Change » proposent une plateforme pour que les jeunes puissent contribuer au débat public sur les questions qui les touchent personnellement, tandis que d’autres projets visent à renforcer la résilience émotionnelle chez les jeunes potentiellement sous pression. Le programme du Fonds mondial pour la mobilisation et la résilience communautaire (GCERF) dans le cadre de l’action STRIVE Global, par exemple, a fait appel à de jeunes Serbes par le biais de l’engagement, d’une formation sur les compétences de leadership et du développement de compétences socioémotionnelles et cognitives. Par ailleurs, une initiative de formation théâtrale organisée par Hedayah (STRIVE Global) en Jordanie a aidé les jeunes à exploiter toute leur créativité tout en sensibilisant un plus large public au sujet de l’extrémisme violent, à mesure que les participants mettaient en place une pièce interactive sur les répercussions de l’extrémisme violent dans plusieurs régions du pays.
Pour ce qui est de l’initiative « Creators for Change », le programme a commencé par une mise en relation avec les jeunes influenceurs et une invitation à une formation intensive. C’est alors qu’ils ont eu l’occasion de rencontrer les ONG expertes en matière de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent ainsi que des YouTubeurs, des réalisateurs et des journalistes encore plus connus. Ils ont prodigué des conseils et apporté leur soutien aux jeunes créateurs sur les thèmes qu’ils souhaitaient explorer, jouant un véritable rôle de mentors lors du développement de concepts et de la production des vidéos finales. « J’ai travaillé avec une organisation malaisienne de lutte contre le terrorisme qui m’a aidé à mieux comprendre l’extrémisme violent dans le pays. J’étais totalement libre d’inventer le concept et le contenu, et les spécialistes me donnaient des conseils pour s’assurer que les faits étaient corrects et que la narration était réaliste ; un point très important comme je devais me mettre à la place du personnage dans la vidéo », raconte Vikar.
Les groupes de jeunes peuvent figurer parmi les promoteurs de la paix et de la tolérance les plus passionnés au sein de leur communauté.
À l’échelle internationale, la série « Creators for Change » a été vue des dizaines de millions de fois. Reposant sur une collaboration avec des influenceurs en ligne largement suivis, le programme a pleinement exploité l’étendue du réseau offert pour diffuser les messages de paix et de tolérance des créateurs à travers la région. Si les followers de Vikar ont pu être surpris par la diffusion d’un tel contenu, leurs réactions montrent bien que la vidéo a fait son effet. « Quand j’ai vu que les gens commençaient à partager la vidéo et échangeaient dans les commentaires au sujet de l’extrémisme violent, j’ai eu le sentiment que l’objectif de la vidéo était atteint », conclut-il. Et si les événements de la vie réelle à l’origine de la vidéo ne se sont pas soldés par le pardon ou la compréhension, le processus créatif permet plus de souplesse. « Le message que je souhaitais adresser au public n’est autre que, si les gens communiquent entre eux, échangent leurs opinions et apprennent à se connaître, les choses pourraient être différentes. »