Soutenir les solutions locales

Des contextes complexes

« Si l’on fait un saut dans le passé, notre société se voulait complémentaire : l’éleveur s’occupait du bétail et récoltait le lait, l’agriculteur fournissait les grains… Ces deux activités se complétaient. Mais, avec ce conflit, ils ont commencé à se considérer comme des ennemis. » Ce constat nous vient d’Ibrahima Sankaré, secrétaire général de Delta Survie, une ONG malienne active depuis des années dans les villages situés le long de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. Dans la région, une forte hausse des conflits et des actes de violence a été constatée ces dernières années, à tel point que les forces de l’État ont jugé qu’il leur était impossible de pénétrer sur le territoire. Pour les communautés locales, les conséquences se font ressentir jusque dans leurs moyens de subsistance. « En raison du manque de sécurité, personne n’osait se rendre dans les champs avec le bétail », se souvient l’un des résidents du village de Koro, côté malien de la frontière. Un tel conflit violent peut facilement devenir un terrain propice aux pensées extrémistes qui se nourrissent des griefs existants. Pour prévenir l’extrémisme violent, il est donc nécessaire de s’attaquer aux causes sous-jacentes

L’origine du conflit est pour le moins complexe, avec pléthore de facteurs économiques, sociaux et historiques locaux.

 

Pendant des années, les tensions traditionnelles relatives à l’occupation du sol ont été gérées avec efficacité par les acteurs locaux. Néanmoins, avec l’avènement des techniques agricoles modernes et l’accentuation de la déforestation pour faire place à des champs de culture, la lutte pour contrôler les ressources de la terre s’est encore renforcée. À mesure que la cohésion sociale s’effritait, la communauté a été exposée à une pression accrue de la part d’extrémistes violents actifs dans la région de la frontière. Désireux d’étendre leur emprise et de recruter davantage de membres, ces groupes extrémistes profitent des tensions existantes accrues entre les générations ou les chefs de communauté, et alimentent le climat de méfiance tout en attisant les violences entre les groupes locaux.

C’est à cette situation compliquée qu’a été confrontée Delta Survie. Grâce à de nombreuses interventions auprès des communautés frontalières, l’organisation savait pertinemment que la seule solution digne de ce nom était d’intervenir directement auprès des locaux. « Notre objectif était de proposer une formation en médiation, afin qu’ils puissent gérer la situation en toute indépendance », explique M. Sankaré. Et d’ajouter : « Le but n’est pas uniquement de limiter les conflits, mais également d’aider les citoyens à réorganiser les structures sociales afin qu’elles deviennent durables ». Soutenue par le financement de l’UE par l’intermédiaire d’un projet géré par l’Institut interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice (UNICRI), l’ONG Delta Survie a lancé son action en sélectionnant quatre membres de la communauté locale pour qu’ils participent à la formation initiale. Ces quatre personnes ont ensuite formé 32 autres acteurs locaux, à raison de deux par commune, avec un parfait équilibre entre hommes et femmes. Adapté à chaque localité, le programme a abordé les thèmes de la médiation des conflits, des systèmes d’avertissement destinés à détecter les risques de manière précoce et de la création de comités de gestion des conflits.

« Sans connaître la communauté, on ne peut s’attendre à ce que le programme fonctionne. »

Ibrahima Sankaré, secrétaire général de Delta Survie

Dès le début, la connaissance de la communauté et l’assistance locale ont été considérées comme les clés de la réussite :

 

« Il était impératif que ces acteurs proviennent de la région et soient reconnus comme des leaders au sein de leur société. Sans connaître la communauté, sans parvenir à se faire entendre et sans atteindre un niveau tel qu’il devient possible de bâtir un pont entre les groupes locaux, le programme ne peut fonctionner », souligne M. Sankaré. Mieux outillés grâce à la formation, les médiateurs ont été en mesure d’échanger avec les grands chefs des villages, et ainsi d’organiser des rencontres entre le maire, les communicateurs traditionnels, les représentants de la société civile et les membres de la milice armée. À partir de là, ils ont collaboré pour établir des canaux de communication plus permanents entre les groupes.

Les 32 médiateurs formés par le programme ont depuis lors échangé avec 2 648 autres habitants issus de 57 villages.

Le processus ne s’est pas déroulé sans heurt, comme l’a expliqué un résident de Koro, lui-même formé comme médiateur : « Pour commencer, la milice était réticente à l’idée de participer à nos séances ». Mais les nouvelles compétences acquises lors de la formation et la connaissance approfondie de la région ont ouvert de nouvelles portes : « Nous avons eu l’idée de nous rapprocher d’un aîné de la communauté de Koro pour expliquer notre mission et le problème. Il était intéressé par le projet et nous a recontactés le soir même pour visiter le camp de la milice, ce qui nous a permis de rencontrer leur représentant qui a alors accepté de rejoindre le mouvement. La formation nous a appris une leçon essentielle : il ne faut jamais abandonner et il faut réfléchir avec soin à la stratégie à adopter pour s’assurer que chaque partie peut participer au processus ».

 

Forts de leur nouvelle expertise, les 32 médiateurs formés par le programme ont depuis lors échangé avec 2 648 autres habitants issus de 57 villages, prônant des méthodes non violentes pour résoudre les conflits. Et si la route est encore longue, la direction empruntée est sans conteste la bonne : « Les gens étaient divisés et ne se parlaient plus. Grâce à notre intervention, ils ont renoué des liens », conclut le résident de Koro. Et les signes sont prometteurs quant aux répercussions sur le long terme de nos efforts : « Nous avons proposé aux groupes de poursuivre le processus après la fin du projet. Aujourd’hui, ils pilotent leur propre mécanisme de médiation, qui traite du maintien de la cohésion sociale et du calme ».

Arctik