Soutenir les solutions locales
Rôle clé des institutions
Dans les bus du centre-ville de Jakarta, en pleine heure de pointe, la vue est pour le moins familière : les passagers, les yeux rivés sur leur écran de téléphone, occupés à lire les informations ou à écrire à leurs amis. Les réseaux sociaux font pleinement partie du quotidien en Indonésie, avec environ 200 millions d’utilisateurs actifs sur une population de plus de 260 millions d’habitants. Malheureusement, le pays a fait l’expérience du côté obscur de la communication en ligne ces dernières années, lorsque les plateformes sociales ont été utilisées non seulement pour diffuser des discours haineux et des messages extrémistes, mais également pour servir de base de recrutement pour les groupes violents ou intolérants.
Ce défi se fait vivement ressentir par le gouvernement national. « En Indonésie, dans certains cas, les discours haineux partagés sur les réseaux sociaux ont mené à des actes de violence », explique Alamsyah M. Dja’far, responsable du programme au sein de l’ONG locale Wahid Foundation. « Aujourd’hui, chaque ministère est conscient du rôle clé joué par les réseaux sociaux, y compris quand il s’agit d’exacerber les tensions au sein de la société. » Avec des millions d’abonnés, certains comptes de ministères du gouvernement ont une portée importante auprès de la population indonésienne. Le potentiel d’utilisation de ces plateformes pour communiquer avec les citoyens sur des questions de tolérance et de diversité n’a été néanmoins que très peu exploité. L’Union européenne et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) y ont décelé une occasion : celle de proposer aux responsables web et aux administrateurs des réseaux sociaux des ministères de les former à la promotion de récits de lutte contre l’extrémisme, dans le cadre du plan d’action national en matière de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent.
En tant que décideurs politiques et d’intermédiaires entre les citoyens et l’État, les institutions ont un rôle central à jouer dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme violent.
En tant que décideurs politiques et d’intermédiaires entre les citoyens et l’État, les institutions telles que ces ministères du gouvernement ont un rôle central à jouer dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme violent. C’est pourquoi les programmes de l’UE reposent souvent sur un partenariat avec diverses institutions en vue de renforcer les capacités d’action sur la base des dernières connaissances issues des recherches internationales et des meilleures pratiques. Les projets financés par l’UE s’appuient sur une collaboration avec les décideurs politiques, au travers de recherches pour soutenir un plan d’action national en Thaïlande (PNUD), par exemple, ou avec les forces de l’ordre, qui œuvrent pour renforcer les capacités, en matière de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent, du personnel des agences de sécurité et de maintien de l’ordre au Kenya (PNUD), ou encore avec les éducateurs, qui forment des formateurs pour améliorer la résistance et promouvoir un engagement pacifique aux Philippines (PNUD). Comme chaque institution est ancrée dans un contexte politique, social et historique qui lui est propre, il est essentiel que chaque action soit minutieusement adaptée à la situation locale pour que l’effet soit maximal.
Pour ce qui est de la formation du gouvernement sur les réseaux sociaux en Indonésie, une approche locale impliquait de souligner les problèmes les plus pertinents aux yeux de la société indonésienne, pour conduire à une mise en évidence de l’importance de la communication sur la diversité et la tolérance. Si elle abrite la plus grande population musulmane au monde, l’Indonésie est également une nation des plus diversifiées avec plus de 1 000 groupes ethniques répartis au sein de ses 17 000 îles. « En Indonésie, nous nous battons pour lutter contre le manque de tolérance, ainsi que pour prévenir les récits extrémistes », explique M. Dja’far de la fondation Wahid. La fondation était l’une des multiples organisations locales ayant contribué aux séances de formation, lesquelles ont toutes été sélectionnées pour leur engagement en faveur de la promotion de la tolérance, de la modération religieuse et du respect pour la diversité.
Rassemblant des administrateurs de réseaux sociaux et des responsables de sites web issus de 10 ministères gouvernementaux, les ateliers se sont surtout concentrés sur l’écriture de discours sur la tolérance comme moyen de lutte contre l’extrémisme. Indra A. Priyanto, responsable des réseaux sociaux au sein du Peace Media Centre de l’Agence nationale de lutte contre le terrorisme (BNPT) qui a participé aux ateliers, a décrit comment les formateurs ont partagé en détail avec les participants un ensemble de techniques, comme la narration, pour s’assurer que les messages soient chargés de sens : « Nous avons échangé nos idées sur la manière de rédiger des récits pour lutter contre la radicalisation sur les sites web et les réseaux sociaux ; comment raconter une histoire et utiliser les graphismes d’information pour montrer que l’Indonésie est le foyer d’une multitude de cultures, de religions et de conversations sociales différentes ». L’accent a été placé sur la communication ouverte et inclusive. Les formateurs ont d’ailleurs mis en premier plan l’importance de s’assurer que tous les messages reposaient sur des informations et des données précises.
« La formation nous a permis de mieux nous rendre compte que nous ne pouvons prévenir l’extrémisme seuls. »
La formation visait en outre à renforcer la collaboration entre les ministères et à encourager le partage de contenu à travers leurs propres canaux. « Un réel avantage était d’améliorer la mise en réseau entre les institutions gouvernementales », explique M. Priyanto. Il ajoute : « La formation nous a permis de mieux nous rendre compte que nous ne pouvons prévenir l’extrémisme seuls. Nous devons collaborer pour atteindre notre objectif ». Les administrateurs des réseaux sociaux et responsables de sites web issus des ministères ont convenu de publier un mème internet au sujet de la modération religieuse et de la paix au même moment, de sorte à en faire une tendance et à étendre leur portée. Depuis la formation, ils ont mis ces apprentissages en pratique dans leur travail quotidien. En contact via le groupe WhatsApp intitulé Kolaborasi Pemerintah (Collaboration gouvernementale), les participants partagent désormais activement du contenu entre eux en vue d’une publication sur les canaux des ministères. Avec le hashtag #JumatToleransi (Le vendredi de la tolérance), ils peuvent atteindre des millions de citoyens indonésiens aux quatre coins du pays, avec un message de tolérance, de respect pour la diversité et de rejet des récits extrémistes aussi bien en ligne qu’hors ligne.
Un plus grand rayon d’action par le biais de l’éducation
Une histoire issue du projet Torun Alo au Bangladesh – soutenu par le financement de l’UE et mis en œuvre par le centre CODEC par le biais du Fonds mondial pour la mobilisation et la résilience communautaire (GCERF) et de la Kofi Anan Foundation – a permis de démontrer l’importance du soutien des institutions éducatives dans le cadre de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent. Après avoir participé à une séance de développement des compétences issue du projet Torun Alo à l’école au sujet des signes de l’extrémisme, une étudiante de 18 ans a pris conscience qu’elle avait observé bon nombre de ces signes chez son voisin : en raison des frustrations liées aux minces perspectives d’avenir professionnel, ce dernier s’isolait et partageait des opinions extrémistes. Avec les outils intégrés lors de la formation, elle est parvenue à échanger avec son voisin sur les conséquences négatives de l’extrémisme. Au fil du temps, elle a réussi à le convaincre de suivre une autre voie, grâce aux suggestions reposant sur les messages de Torun Alo. Aujourd’hui, il exerce en tant que travailleur social et commerçant et s’efforce de lutter contre l’extrémisme violent dans sa communauté. Il contribue ainsi lui-même aux séances de développement des compétences du projet.