Les acteurs du changement

Femmes à l'avant-garde

Souvent considérées comme des témoins passifs, les femmes occupent une place centrale au sein de la famille et de la communauté, ce qui signifie qu’elles peuvent également être exposées aux campagnes de recrutement, amplifier les messages radicaux et soutenir les extrémistes.

Assistez donc à l’un de ces événements culinaires en plein air organisés par le Council of Women Clergy (COWC) à Mombasa (Kenya), et vous serez d’abord surpris par les odeurs : le riz pilaf parfumé dans la marmite, le goût très prononcé du cornichon bilimbi. Ensuite, les voix et rires des groupes rassemblés autour de chaque poste de cuisson retentissent, les femmes ayant l’habitude de papoter et de rigoler pendant la préparation des repas. De 18 à 80 ans, elles proviennent de différentes régions et ont des appartenances religieuses variées. Et pourtant, en ce lieu, elles sont sur la même longueur d’onde et se rassemblent pour discuter, cuisiner et manger ensemble dans un espace sécurisé. Les conversations reposent souvent sur les sujets abordés par les femmes au préalable dans l’espace voisin. Au cours des séances du COWC destinées à sensibiliser à la problématique de l’extrémisme violent, les participantes explorent les facteurs d’incitation et d’appel qui favorisent le recrutement et écoutent les femmes qui partagent des histoires sur la manière dont l’extrémisme a influencé leur vie. « Nous adoptons une approche proactive pour lutter contre l’extrémisme violent, pour prévenir chacun que personne n’est à l’abri, mais qu’il est possible de reconnaître les signes », raconte la révérende Jane Jilani, directrice générale du COWC. Elle précise : « Lorsque les participantes rentrent chez elles, elles peuvent partager ces informations auprès d’autres femmes dans leur village ». 

Dans la région côtière du Kenya, où opère le COWC, l’extrémisme violent est une ombre qui pèse sur bon nombre de citoyens. Pendant près de 20 ans, la région n’a eu de cesse de lutter contre un véritable climat d’instabilité, avec les femmes et les enfants qui souffrent souvent le plus de ce conflit récurrent. « Tandis que les jeunes étaient recrutés comme combattants, les femmes souffraient de la perte de leurs fils et mari pendant les affrontements », explique Gloria Likhoyi, vice-présidente du conseil de l’ONG locale Coast Interfaith Council of Clerics  (CICC), laquelle travaille de concert avec le COWC sur le projet intitulé en anglais « Shrinking the space against violent extremism thriving » (SAVET) visant à faire perdre du terrain à l’extrémisme violent florissant. « Mais en parallèle, elles soutenaient également ces activités violentes, en approvisionnant en nourriture les membres des familles au combat, et en les encourageant. » Ce parallèle met en lumière le rôle complexe que les femmes peuvent jouer dans la gestion de l’extrémisme violent : souvent considérées comme des témoins passifs, elles occupent une place centrale au sein de la famille et de la communauté, ce qui signifie qu’elles peuvent également être exposées aux campagnes de recrutement, amplifier les messages radicaux, soutenir les extrémistes et même participer aux actes de violence. En même temps, ce rôle central fait d’elles de parfaites promotrices de la non-violence et de l’engagement civique.

C’est pourquoi les programmes de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent financés par l’UE s’adressent directement aux femmes pour les sensibiliser et les impliquer davantage dans leur rôle de prévention. Outre les activités de COWC au Kenya, soutenues par l’UE par le biais du programme du GCERF dans le cadre de l’action STRIVE Global, des initiatives sont lancées et intègrent le travail du PNUD pour créer une plateforme de médiation pour les femmes aux Philippines, destinée à renforcer les capacités de la gent féminine à prévenir l’extrémisme au sein de leur communauté. De même, le programme  STRIVE Corne de l’Afrique a permis de mettre en place 11 comités pour la paix composés de femmes sur le territoire du Somaliland, et ce, dans le but d’accroître la sensibilisation en matière d’extrémisme violent, de prodiguer des conseils aux femmes qui travaillent avec les forces de l’ordre et de former les policières à la prévention et à la lutte contre le problème. Et, à une échelle institutionnelle, le projet PROTECT du PNUD coopère avec le gouvernement indonésien pour assurer une dimension considérable en matière de genre dans le cadre de la mise en œuvre du plan d’action national du pays sur la prévention et la lutte contre l’extrémisme violent, de sorte à dépasser la simple représentation numérique et à libérer tout le potentiel des femmes pour qu’elles endossent un rôle de promotrices du changement dans leur communauté.

Pour revenir au sujet du Kenya, le COWC collabore avec les femmes de la région sur plusieurs fronts. En qualité de groupe interconfessionnel de religieuses dirigé par des femmes, le Conseil promeut la compréhension et la tolérance au sein des communautés côtières au travers d’actions communes pour assurer le développement socioéconomique continu et la paix durable. Dans le cadre du programme SAVET, le COWC a travaillé plus étroitement avec les groupes vulnérables présentant un risque de radicalisation. En organisant des réunions de groupe comme des séances de conseil individuelles, le COWC est désireux d’offrir un cadre sécurisé pour ces femmes, dont beaucoup souffrent de traumatismes, afin qu’elles puissent parler de leurs expériences et s’équiper d’outils pour mieux gérer les défis auxquels elles sont confrontées. Le Conseil forme également les femmes à maîtriser la promotion des stratégies de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent pour leur famille et les communautés au sein plus large.

« Nous pourrions nous contenter d’une simple représentation, mais cela ne suffirait pas, nous avons besoin que les femmes soient présentes au moment où les décisions sont prises. »

Révérend Jane Jilani, directrice générale du Council of Women Clergy

Parmi les autres priorités, citons le renforcement des capacités des femmes à s’assumer seules d’un point de vue économique, par exemple, par l’intermédiaire d’une bonne gestion des économies et des communautés de prêt internes, afin qu’elles puissent emprunter et investir pour jouir de moyens de subsistance durables. Même les événements culinaires en plein air ont une dimension économique, étant donné que le cornichon qu’elles apprennent à cuisiner peut être préparé à partir d’ingrédients facilement disponibles, et qu’elles peuvent dès lors en produire elles-mêmes à l’avenir pour en vendre et gagner de l’argent. Ces étapes vers une autonomisation économique s’accompagnent des efforts consentis en vue de donner plus de moyens aux femmes sur le plan communautaire. Le COWC s’engage à promouvoir les femmes aux postes de leader, et organise des forums consultatifs avec des agents de la sécurité et la société civile pour donner aux femmes l’occasion de défendre leurs propres intérêts. « Nous menons un travail de fond pour faire entendre la voix des femmes, afin qu’elles puissent occuper des positions de leader », explique la révérende Jilani. « Nous pourrions nous contenter d’une simple représentation, mais cela ne suffirait pas, nous avons besoin que les femmes soient présentes au moment où les décisions sont prises. »

RECHERCHES SUR LES RÔLES DES FEMMES

Historiquement, les opinions sur le rôle des femmes en matière d’extrémisme violent ont été réductrices.

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Par conséquent, il est nécessaire d’opter pour une perspective de genre lors des recherches menées en matière d’extrémisme violent, pour se pencher tant sur les hommes que les femmes et l’incidence des attentes vis-à-vis des rôles en fonction du sexe sur la participation à la violence.

Les recherches présentent des perspectives plus nuancées basées sur les preuves :

Tout comme les hommes, les femmes peuvent faire des choix de manière active

Les femmes ont souvent tendance à être vues comme des victimes ou comme des actrices passives emportées par l’extrémisme violent. Toutefois, à l’instar des hommes, les femmes peuvent avoir du pouvoir et participer de leur plein gré aux actes de violence ou soutenir la cause terroriste.

Tout comme les hommes, les femmes peuvent se tourner vers l’extrémisme violent pour diverses raisons. Souvent, ces raisons sont les mêmes que celles qui animent les hommes.

Les principaux incitatifs sont sensiblement les mêmes pour les femmes que pour les hommes, mais ils peuvent se présenter différemment auprès de divers segments de la population, comme en fonction de ce qui suit :

le niveau d’éducation l’inégalité des genres

À l’instar des hommes, les femmes peuvent endosser divers rôles dans différents groupes:

Parfois, comme recruteuses dignes de confiance

Parfois comme représentantes des rôles de reproduction et d’éducation pour la prochaine génération de recrues

Parfois comme influenceuses, femmes de main et gardiennes

Parfois comme participantes actives aux actes de violence

Une optique des genres est nécessaire pour rassembler des preuves sur les rôles que les femmes et l’égalité des genres peuvent jouer dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme violent

Arctik