Les acteurs du changement

Place aux idées alternatives

« Avant de rejoindre la station, je n’avais pas la moindre idée du fonctionnement d’une radio. »

Dhouha Dhibi
Revenons au début du mois de janvier 2020. Il est 18 heures tapantes, et le signal « À l’antenne » s’illumine pour accueillir les informations du soir. Pour les résidents de Kasserine, ville située à l’ouest de la Tunisie, il s’agit d’une expérience radio d’un nouveau genre : Une jeune femme lit les gros titres, et l’émission d’actualités qui suit est pleine de voix de jeunes discutant de sujets normalement tabous, depuis l’égalité des genres en passant par la lutte contre l’extrémisme violent, sans oublier le travail des enfants. Cette chaîne porte le nom de Hola Kasserine, une station radio en ligne gérée par près de 60 jeunes âgés de 16 à 25 ans. Même si c’est difficile à croire, il y a un an à peine, aucun d’eux n’avait jamais mis les pieds dans un studio. « Avant de rejoindre la station, je n’avais pas la moindre idée du fonctionnement d’une radio », explique Dhouha Dhibi, qui présente les gros titres en début d’heure. « J’étais excitée à l’idée de participer au projet, c’était la première étape pour concrétiser mon rêve d’enfance, celui de devenir journaliste. »

« Nous voulions aider les journalistes à penser autrement et à trouver d’autres idées pour changer des discours habituels. »

David Okwemba

Le contenu varié proposé par la station n’a pas manqué d’attirer des auditeurs de tous les âges et milieux. Loin d’être mis de côté lors des échanges sur des questions plus controversées, le public se montre motivé à l’idée de participer, en partageant l’émission sur Facebook, en publiant des commentaires sur les débats ou en proposant de nouveaux sujets à aborder lors de futurs épisodes. « La responsabilité était énorme pour l’équipe, étant donné que nous abordons des thèmes comme le terrorisme, la démocratie et l’égalité des genres », explique Mme Dhibi. Avant d’ajouter : « Mais c’est ce qui a intéressé les auditeurs, ils nous écoutent et nous encouragent ». Pour la présentatrice et l’équipe, Hola Kasserine a non seulement apporté les compétences médiatiques nécessaires à un tel projet, mais a également donné l’occasion de toucher un large public sur les questions qui leur importent le plus. « Nous avons appris à défendre nos idées et positions », conclut-elle, « et je n’ai désormais plus peur de me faire entendre ».

Dans la région côtière du Kenya, le programme STRIVE II financé par l’UE a également permis de soutenir le partage d’opinions alternatives sur les ondes, par l’intermédiaire d’une collaboration avec des journalistes radio professionnels pour acquérir les capacités nécessaires en vue d’aborder le thème de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent. Si la région comporte un éventail de stations radio locales, les contraintes budgétaires sont telles que les journalistes ne disposent généralement pas de suffisamment de ressources pour aller au bout de leur enquête. Les voix entendues dans les émissions manquent de diversité, car les journalistes puisent dans les commentaires facilement accessibles des autorités, comme ceux des forces de l’ordre. « Nous voulions aider les journalistes à penser autrement et à trouver d’autres idées pour changer des discours habituels », explique David Okwembah, le journaliste à l’origine de la formation médiatique dans le cadre du programme STRIVE. Il précise : « Si vous parlez de la manière dont l’extrémisme violent affecte les jeunes, le fait d’échanger avec un agent de police ne vous donne pas une vision complète de la réalité. En revanche, si vous échangez directement avec les personnes concernées, elles peuvent vous raconter l’histoire telle qu’elles la vivent ». Les séances de formation ont permis d’aborder des thèmes clés en matière de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et de prodiguer des conseils sur les techniques d’interview et la production radio. Ensuite, une session de mentorat a été organisée lors de laquelle les participants étaient suivis par un formateur pendant la rédaction de leurs rapports.

Parmi les participants, citons Asha Bekidusa, journaliste radio active dans les domaines de la santé, de l’environnement, des genres et de la sécurité. « La formation m’a véritablement ouvert les yeux. J’y ai appris de nouvelles techniques pour me rapprocher des jeunes, instaurer un climat de confiance et connaître leur avis sur des questions sensibles », explique-t-elle. Forte de ses nouvelles compétences, elle s’est lancée sur le terrain à la recherche de nouvelles histoires. L’un des reportages présente le parcours d’un groupe de jeunes gens à Mombasa, autrefois actifs dans un gang équipé de machettes. Ils ont commencé une nouvelle vie en se lançant dans la vente de denrées alimentaires et le lavage de voitures. « Je me suis assise avec ces jeunes pour écouter les expériences qu’ils avaient vécues, ce qu’ils avaient appris et ce qu’ils désiraient changer concernant leur propre personne et leur communauté », nous partage Mme Bekidusa. Pour les jeunes touchés par l’extrémisme violent et susceptibles de se sentir déconnectés de leur communauté, le partage d’histoires similaires à ce qu’ils vivent, et racontées de leur point de vue, avec en plus une issue positive, est totalement nouveau. Les réactions de la communauté veulent d’ailleurs tout dire, conclut-elle : « Les répercussions ont été impressionnantes, la station a reçu un nombre incroyable de coups de téléphone, avec des interlocuteurs expliquant que s’ils pouvaient entendre plus d’histoires positives de ce genre, la différence pourrait être énorme ».

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